PROLOGUE : Du sang, des larmes et des gossip
Si vous venez ici pour étancher une curiosité avide et trouver de quoi cancaner près de la machine à café, vous allez être déçu. 
Si vous voulez des noms, il n'y en aura pas. Tout sera anonymisé. Les personnes les plus proches de moi pourront potentiellement reconnaître une entreprise, envisager un ou deux noms lorsque je relaterai une expérience. Mais jamais vous ne pourrez être certain de votre intuition. 

"Lâche !" me crierez-vous peut-être. "Tu veux faire changer les choses et tu ne donnes pas en pâtée les responsables de ces situations" enchérirez-vous certainement. Eh bien non. Car le but n'est pas de pointer du doigt une dizaine de personnes. De leur être nuisible. Le but est de pointer du doigt tout un système. Afin que chaque acteur de ce système se remette en question et change ses habitudes. Alors "Panem et circenses" pour distraire la masse d'ouvriers et d'ouvrières de production surqualifié.e.s que nous sommes, très peu pour moi. Car la précarisation que ma génération prend de plein fouet dans les dents, nous en sommes tous et toutes responsables. L'heure n'est plus à la distraction. 
Toutefois, si vous voulez des gossip, allez dans des bars après les journées de travail des pigistes. Vous en aurez. Vous voulez du sang ? Entrez dans une rédaction. Entre les piges Web à 15 euros que l'on se vole l'un à l'autre, les manipulations basées sur des relations humaines et professionnelles déséquilibrées, ou les télescopages d'égos largement dimensionnés, vous trouverez de quoi vous distraire. Il faut bien ce qu'il faut pour survivre dans une profession de ce type. On ne se bat pas contre des requins en restant un bernard l'hermite, que voulez-vous ! 
Et si vous voulez du désespoir, il y en aura aussi. Ce n'est pas un métier où l'on respire la santé. On enchaîne les heures pour une paie qui nous donne souvent envie de rire au nez des gens qui nous la "donnent." Alors on dort peu. On boit du café. On produit beaucoup. Vite. Parfois mal. On se fait taper sur les doigts. Par les rédacteurs en chef, d'abord. Par les lecteurs et les auditeurs, ensuite. On a des "haters." Alors on sort fumer une cigarette pour se détendre. Puis on reprend un café. Parce qu'on dort mal, c'est vrai. En même temps, une insulte, ça pique toujours. Même quand on la lit rapidement. Même quand on a l'impression de ne pas l'entendre. Elle reste au fond de nous et elle devient une grosse mélasse noire, agglomérat de nos ambitions journalistiques déchues et de nos journées vides de contenus sensés. 
Il n'y aura pas de noms, non. Mais il y aura quand même du sang, des larmes. Et du café. Bienvenue. 
Signé : Un bernard-l'hermite en cours de transition.

Signé : le bernard-l'hermite en cours de transition. 


épisode 1 : Indépendant ? Mais de qui ?
Là, c'est le moment plus scolaire. Mais il faut y passer. Être indépendant en Belgique, pour les instituions étatiques, un indépendant "exerce une activité professionnelle lucrative qui ne le lie pas à un employeur par un contrat de travail."
Ça, c'est la version "jolie." Celle où l'on vous dit : "mais c'est super, tu es ton propre patron!" Alors  oui, il y a des galères aussi, car sinon, on serait tous des travailleurs indépendants. Il faut gérer une quantité impressionnante de papiers. Être en contact avec un nombre faramineux d'administrations, et s'assurer soi-même, après sa journée de boulot, que nos dossiers avancent bien et n'ont pas été oubliés ou classés à la verticale. Car en tant qu'indépendant, si l'administration fait une erreur, c'est de toute façon vous qui paierez des pénalités de retard ou des frais de dossiers supplémentaires. Il faut penser à avoir une mutuelle, à payer ses cotisations (qui font telleeeeement peur quand on voit leur montant la première année). 
Mais être indépendant, en Belgique, c'est aussi avoir la chance de développer un projet personnel. De mettre sur pied une entreprise, de la voir grandir, d'engager son premier salarié. D'avoir des horaires flexibles. De gagner des pécadilles parfois, mais par choix. Car on préfère réinjecter nos bénéfices dans "notre bébé" ce mois-ci plutôt que se dégager un salaire confortable. Vie professionnelle et vie personnelle deviennent souvent proches, si pas liées. Mais comme le disait ce bon vieux Confucius :
"Choisis un travail que tu aimes et tu n'auras pas à travailler un seul jour de ta vie."
Moi, je suis issue d'une famille d'indépendants. J'en suis fière. Ça n'a pas toujours été un long fleuve tranquille, attention. J'ai toujours vu mes parents travailler comme des acharnés. C'était 15 jours de vacances par an, un point c'est tout. 7 jours pour les vacances d'été et 7 jours pour les vacances d'hiver. Et encore, j'ai été chanceuse ! Mon frère est arrivé au début de leur installation en tant qu'indépendant. Et à l'époque, c'était pas de congés du tout, ou presque, car il fallait devenir rentables !
Ils m'ont appris la valeur du travail. Ils m'ont montré que le 25 décembre ou le 31 décembre sont souvent des jours comme les autres au fond. Je ne vous cache pas que j'ai passé quelques réveillons devant Patrick Sébastien et son plus grand cabaret du monde sur France Télévisions, mes parents somnolant dans le fauteuil après une longue journée. J'ai découvert très vite comment répondre au téléphone, comment me comporter avec les clients, à rester calme lors des "coups de rushs" et à m'occuper seule lorsqu'ils étaient occupés. A être polie et respectueuse envers les employés, et les adultes plus largement. A ne pas être timide. A oser demander de l'aide. A proposer mon aide aussi. Et qu'une journée de travail ne s'arrêtait pas forcément lorsque l'on quittait notre espace de travail ou nos collègues. 
Je les ai vu traiter avec des fournisseurs, des délégués commerciaux, des travailleurs indépendants, des salariés. Je les ai vu traiter un problème, fêter un contrat, déplorer une perte. J'ai appris bien avant les autres ce qu'était une dimona d'entrée et de sortie. Qui est l'ONSS, Securex ou l'UCM. J'ai appris en observant. En participant. Et je ne les remercierai jamais assez que pour les valeurs qu'ils m'ont inculquée via ce modèle. 
Autant vous dire que quand je me suis plongée dans le monde du journalisme et qu'on m'a demandée de prendre le statut d'indépendante, j'ai fait les démarches avec la fleur au fusil. Pour moi, un travailleur indépendant peut bien entendu être sujet à des horaires, à des normes de productivité, à des règles. Mais tous ces points sont sujets à DIS-CU-SSION. Il s'agit d'un contrat de CO-LLA-BO-RA-TION entre un indépendant et son client. En clair, tout est sujet à négociation afin que les termes de la collaboration conviennent au deux parties. 
Si vous arrivez franc-battant dans une entreprise, qu'on vous met un contrat sous les yeux et qu'on vous dit "c'est à prendre ou à laisser", vous faîtes un choix, en connaissance de cause. Et surtout, vous êtes considéré comme un employé. Vous êtes lié à une entreprise via un contrat qui a été imposé par l'autre partie, il y a donc une claire relation de subordination et vous l'acceptez. Mais si, EN PLUS, on vous demande de signer ça et de prendre le statut d'indépendant. Qu'on refuse toutes vos demandes de changement. FUYEZ. C'est un contrat de faux-indépendant, c'est illégal et ça va surtout vous pourrir la vie. 
Comme vous vous en doutez, sur un an et demi d'entretiens, de négociations de piges et de prises de contacts, qu'on peut résumer à une petite centaine, je n'ai eu que 2 contrats en tant que vraie indépendante. Bienvenue en enfer.
épisode 2 : "Je suis faux-indépendant, c'est grave docteur?" OUI !
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